La vérité est dans les détails

Je pense que les personnes créatives – ou celles qui ne le sont pas mais qui veulent essayer d’innover – ne peuvent le faire que dans des environnements propices, dans des lieux où les idées peuvent naître, mûrir et se concrétiser dans le temps nécessaire, ni trop ni trop peu… tout en s’améliorant au fil du chemin.

Un exemple clair en est l’histoire qu’un chef m’a racontée, qui avait travaillé au Bulli pendant de nombreuses années.

Le Bulli a misé sur l’innovation culinaire, pour créer une cuisine différente. L’une des choses les plus importantes qu’ils ont faites – ce fut pionnier dans le monde et peut-être la décision qui leur permit de franchir le cap décisif – fut de retirer certains chefs de la cuisine de production (celle du quotidien, des déjeuners et des dîners) pour les mettre à part, uniquement afin de concevoir de nouveaux plats.

C’était le premier restaurant au monde qui employait des chefs ne cuisinant pas pour leurs clients. Leur tâche était d’innover, de s’inspirer, d’expérimenter, de se tromper, d’essayer, de repenser, de se demander si ce qui était toujours fait l’était vraiment parce que c’était le meilleur ou simplement parce que personne ne l’avait jamais remis en question auparavant…

Je ne souhaite pas défendre la cuisine du Bulli, ni même analyser si elle était bonne ou non. Mais il est certain qu’elle était innovante et qu’elle a marqué le monde.

La créativité atteint son apogée lorsqu’on la sort de la chaîne de production, c’est un art en soi. Si ces chefs devaient se poser pour réfléchir à des choses différentes, fraîches, surprenantes… ce serait bien plus difficile à réaliser en même temps que le tumulte de servir les clients au quotidien.

Il faut bien comprendre : si tu travailles 10 heures par jour comme un fou pour respecter des délais, pour faire bonne impression, pour être à l’heure… alors il est très difficile d’avoir un haut niveau de créativité.

Pour moi, la créativité ne peut apparaître que si 4 facteurs se produisent, dans une plus ou moins grande mesure :

Une maîtrise technique élevée dans la spécialité que l’on souhaite innover (c’est-à-dire, de nombreuses heures de pratique préalable)

Une dose de talent inné

Une très forte dose de passion pour ce que l’on fait

Des moments de catharsis où le temps semble s’arrêter et où nos idées peuvent s’exprimer librement, en jouant, en somme.

Je pense que le point 4 est celui que beaucoup ne comprennent pas très bien. Dans notre culture, c’est encore moins le cas. C’est pourquoi nous ne sommes pas une culture très innovante. Le jeu ne fait généralement pas partie de notre apprentissage, et pour moi, le jeu est toujours le début de tout projet créatif.

Le jeu est la mère des inventions.

En fait, une phrase d’Einstein résume parfaitement ce que j’explique ici :

"La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse"